lundi 3 septembre 2007

Le fantôme de Gainsbourg

Il me semble que c’était à la fin d’un spectacle en plein air. Le public avait fini d’applaudir et s’en allait dans tous les sens. Seul un homme ne semblait pas vouloir bouger. Il agitait les bras au dessus de sa tête en gueulant : « c’est un scandale ! c’est de la merde ! ». J’avais tout de suite reconnu Serge Gainsbourg, avait sa tronche de Gainsbarre mais en moins amochée. Il portait sa veste noir rayée avec une rose rouge dans la pochette, et une chemise blanche en dessous. Et puis il avait les cheveux moins blanc, et plus longs qu’à la « fin ». Malgré ses efforts répétés pour interpeller le public, aucun des spectateurs ne semblait l’avoir remarqué, et tous partaient sans plus d’égard pour le poète, lui tournant le dos. Alors je vins le rejoindre. Il ne me lança pas un regard, mais je compris que ma présence à ses côtés ne le dérangeait pas lorsqu’il me tendit une de ses fameuses gitanes. « écoute petit, tu peux me suivre, je m’en contrebalance, mais tu seras vite déçu » cracha-t-il entre ses lèvres en même temps que la fumée d'une taffe qui s’envola vers le ciel encore pâle du petit matin. Voyant du champagne sur une table, il s’y installa immédiatement, ne semblant pas avoir plus de gênes que cela vis-à-vis des deux jeunes femmes assises en face de nous qui attrapèrent aussitôt leur bouteille. «Ecoutez, les filles, vous allez tout de même pas me refuser cela ? ». Les deux minettes se levèrent aussi sec et se barrèrent au loin. Choqué par tant de mépris de ses connasses pour le génie, je me mis à gueuler : « Hey, pouffiasses ! Vous ne vous rendez pas compte que vous avez affaire à un génie ! Elle reconnaîtraient même pas Baudelaire ces connes ! ». Et Gainsbourg, sa clope au bec, toujours de profil, ne daignant toujours pas me regarder, me dit simplement : « t’en fais pas petit, t’en fais pas. ». Il éteignit sa cigarette dans le bac à champagne encore débordant de glace et balbutia un « merde, j’vais acheter des clopes ». Encore sous le choc, je le laissai partir et restais comme un con à la table. Puis je courrai pour le rattraper, le voyant déjà à l’angle de la rue du village. Lorsque je parvint à cet endroit, je ne vis plus le poète dans la rue, qui était résolument vide. J’entrai cependant dans le bar-tabac-presse-PMU au bout du village. Gainsbourg y était, seul au bout du zinc, fumant sa gitane, le paquet fraîchement ouvert posé au pieds d’un verre de pression. « Serge… Monsieur Gainsbourg ? Pourquoi m’avez-vous fui ? ». Et recrachant lentement sa fumée par les oreilles, il me glissa comme un secret, son œil malicieux que l’on connaît posé sur mon regard fasciné : « Le nom que tu viens de prononcer, petit, c’est fini. Je suis Lucien Ginsburg, pour l’éternité ».

1 commentaire:

Grostony a dit…

J'ai eu l'occase de cotoyer un Lucien Gainsbourg (pas Ginzburg c'est vrai), et pas une gitane ne lui aurait touché les lèvres, quant à la mousse, très peu pour lui. Ce doit pas être le même.